Selon la Constitution du Burkina Faso, l’éducation et l’instruction constituent des droits sociaux que l’Etat doit œuvrer à promouvoir. Tous les Burkinabè naissant libres et égaux en droit et en devoir, aucune personne ne doit plus être laissé en marge du système éducatif. Et c’est du rôle de l’Etat de mettre tout en œuvre que tous sans exception aient droit à une éducation de qualité et inclusive.

Au niveau international, cet engagement a été matérialisé lors de l’adoption en septembre 2015 des Objectifs de développement durable (ODD) dans le cadre de l’agenda 2030. Les ODD dans son objectif 4 reconnaissent le rôle crucial d’une éducation inclusive et équitable de qualité dans l’édification d’un monde meilleur et plus égalitaire.

Le Burkina Faso s’est engagé dans comme la plupart des pays membres de l’ONU à rendre accessible l’éducation pour tous les enfants sans distinction aucune. Le pays a adopté en 2007, la loi d’orientation de l’Education dans la quelle, l’éducation devient une priorité nationale. L’article 3 indique « que toute personne vivant au Burkina a droit à l’éducation, sans discrimination aucune, notamment celle fondée sur le sexe, l’origine sociale, la race, la religion, les opinions politiques, la nationalité, ou l’Etat de santé. Ce droit s’exerce sur la base de l’équité et de l’égalité des chances entre tous les citoyens ». C’est également cette loi qui rend obligatoire l’enseignement de base pour tous les enfants de six à seize ans.

A cela, le pays a pris d’autres engagements au niveau national en faveur de l’éducation inclusive avec l’adoption de textes tels le Programme de Développement Stratégique de l’Education de Base (PDSEB) 2012-2021 et le Plan Sectoriel de l’Education et de la Formation. Tous cela afin de faire de l’éducation de qualité pour tous un droit « non négociable ».

Malgré ces engagements et une augmentation continue du budget de l’éducation, force est de constater que sur le terrain et dans plusieurs localités, ce droit à l’éducation inclusive et de qualité n’est pas encore une réalité pour certains enfants comme les enfants en situation de handicap. Ces derniers font encore partie de ce lot d’enfants pour qui l’éducation demeure encore un rêve.

En marge du système éducatif…

Selon les estimations du Recensement général de la population et de l’habitation (RGPH) de 2006, le nombre de personnes en situation de handicap au Burkina Faso en 2012 est estimé à environ 168 000, soit 1,2% de la population totale. Et selon l’étude multisectorielle sur la situation des personnes en situation de handicap au Burkina Faso, 66% sont sans aucun niveau d’instruction. Celles qui ont atteint le niveau primaire sont estimées à 16,5% selon les chiffres de Handicap International sur l’éducation inclusive des enfants en situation de handicap.

L’état des lieux de l’éducation inclusive au Burkina Faso fait par l’Unicef en avril 2013, citant l’Organisation mondiale de la Santé, indique que les personnes en situation de handicap dépasseraient les 3 millions en 2020, la majorité vivant en dehors de toute offre éducative. A titre illustratif, au cours de l’année scolaire 2017-2018, on dénombrait au total 48 236 élèves vivant avec un handicap dont 8 599 au post-primaire et secondaire. Au primaire le handicap concerne plus les troubles de langage (30%) pendant qu’au post-primaire et secondaire ce sont les troubles visuels qui sont plus fréquents (31%). Comparé aux estimations, l’on se rend compte que plusieurs enfants vivant avec un handicap sont exclues du système éducatif alors que l’on ne devrait pas.

Ce qui est alarmant en plus de ses chiffres, c’est l’insuffisance voire l’absence d’offres éducatives adaptées et de personnel enseignant outillé pour la prise en charge psychologique et pédagogique des enfants en situation de handicapes.

Un enseignant du primaire, R. Ouédraogo nous confiait que dans son école située à Réo, province du Sanguié dans la région du Centre –ouest, aucun enseignant n’était outillé dans la prise en charge spécifique des enfants en situation de handicap.

Or selon la loi d’orientation de l’éducation, un directeur d’école ou un chef d’établissement ne doit pas refuser l’inscription d’un enfant en situation de handicap. Pourtant, plusieurs écoles dans les différentes circonscriptions éducatives manquent du nécessaire pour rendre effectif cette scolarisation obligatoire.

« Qu’est ce que vous faites dans ce cas si vous êtes chef d’établissement scolaire ? Prenant mon cas, je ne connais ni le langage de signe ni le braille et ni aucune méthode d’enseignement destinée à ces enfants en situation de handicap. Même si nous acceptons l’élève avec son handicap, il restera comme un simple spectateur vu que nous n’avons aucun moyen pour sa prise en charge » faisait savoir notre interlocuteur.

Effectivement, selon nos informations, dans les Ecoles nationales des enseignants du primaire (Enep), il n’existe dans le programme actuel de formation des futurs enseignants aucune matière destinée à outiller les pensionnaires sur la prise en charge adéquate des enfants en situation de handicap. Donc les enseignants que l’on forme actuellement ne possèdent aucun bagage pour enseigner les enfants en situation de handicap. Certains d’entre eux bénéficient néanmoins une fois sur le terrain d’une formation continue même si dans les perspectives, il est prévu la création de modules sur l’éducation inclusive dans les différentes Enep.

C’est ce manque de cadre et d’offres éducatives que dénonçait Boukari Pamtaba, responsable de l’Association burkinabè d’accompagnement psychologique et d’aide à l’enfance (Abape), organisation qui s’investit dans la prise en charge des enfants autistes, « un trouble neurodéveloppemental qui affecte l’enfant dans trois domaines spécifiques à savoir le trouble relationnel, la communication et comportement ».

Valorisant l’éducation inclusive à travers une prise en charge adaptée, les enfants autistes du centre dont l’âge est compris entre 2 et 5 ans sont inscrits d’abord à la maternelle pour apprendre l’interaction sociale. Parmi eux, certains excellent dans leur classe après leur intégration dans les écoles classiques. Mais c’est au niveau de l’école classique qu’intervient la désillusion.

En milieu d’année, ils sont renvoyés au centre pour cause d’absence de personnes spécialisées dans ces écoles pour appuyer l’enseignant titulaire. « Nous les inscrivons à l’école mais nous ne sommes pas maîtres de ces écoles. Nous ne pouvons donc pas imposer de prise en charge. Il arrive souvent qu’au cours de l’année, le responsable de l’école nous appelle pour dire qu’il ne peut plus garder l’enfant », expliquait M. Pamtaba dans un article que Fasozine avait dédié à la prise en charge des enfants autistes au Burkina.

Cet exemple loin d’être un cas isolé concerne plusieurs enfants en situation de handicap comme alertait l’Unicef : « les quelques rares expériences d’éducation à l’adresse des personnes en situation de handicap au Burkina Faso sont conçues et mises en pratique par des organisations de la société civile et des structures religieuses et caritatives. En dehors de la mise à disposition d’enseignants aux organisations agissant dans l’Education inclusive, la seule expérience conduite par l’Etat est celle des Centres transitoires d’inclusion scolaire (CTIS) dans 10 circonscriptions d’éducation de base de la province du Kadiogo et dans 3 régions en partenariat avec l’Enseignement catholique et des ONG internationales ».

Malgré l’existence de ces quelques offres, il faut noter leurs mauvaises répartitions au niveau spatial, ce qui est en déphasage avec la demande éducative. La majorité des enfants en situation de handicap se trouvant plus en milieu rural qu’urbain.

Très peu d’écoles classiques disposent d’offres éducatives adaptées aux personnes en situation de handicap. Selon nos confidences, certains chefs d’établissement par manque de compétences et de matériels pour une prise en charge adéquate refusent implicitement certains enfants et demandent à leurs parents de s’adresser aux centres spécialisés qui n’existent pas dans toutes les circonscriptions d’éducation de base. Pis, s’ils existent, ils sont tout simplement débordés.

Respect des engagements…

L’Etat malgré ses engagements renouvelés est pour le moment incapable de faire de l’éducation inclusive une réalité pour tous les enfants du Burkina. Malgré une augmentation croissante du budget de l’éducation, le constat demeure toujours amer sur le terrain.

En 2017 sur un budget voté de plus de 332, 265 milliards de FCFA pour le compte du ministère en charge de l’Education nationale, le budget exécuté est de plus 327, 562 milliards de FCFA soit un taux d’exécution financière de 98%. Le budget exécuté représente ainsi 21,18% du budget global exécuté de l’Etat au cours de la même année.

Le hic dans ce budget est que les dépenses de personnel et de fonctionnement ont représenté près de 88,5% du budget soit plus de 265, 56 milliards de FCFA. 8,5% de ce budget ont été investi pour le fonctionnement soit 293,82 milliards de FCFA contre à peine 11,5% pour les investissements soit environ 38,18 milliards de FCFA.

Sur les 407, 195 milliards de F CFA alloués au ministère de l’Education nationale en 2018, environ 100 millions ont été dédiés à l’éducation inclusive. Ce qui fait que la Stratégie nationale de Développement de l’Education inclusive (SNDEI) 2018-2022, d’un cout de plus de 9 milliards, adoptée peine à être financée.

Par ailleurs, ce manque de financement se traduit sur le terrain par un retard sur la création d’écoles inclusives publiques à travers le pays, le manque de données fiables sur les élèves handicapés et l’insuffisance de la prise en compte des besoins spécifiques des élèves handicapés dans le cartable minimum, dans les manuels scolaires et le matériel d’enseignement spécifique.

Pour la Coalition nationale de l’Education pour tous (CN-EPT) que dirige Tahirou Traoré, pour être au rendez-vous de 2030, le Burkina Faso devra bâtir ses plans d’actions et budgets sur les priorités essentielles en lien avec les besoins des élèves et des enseignants en éducation inclusive en vue d’améliorer l’équité et la qualité de l’éducation.

Pour que ce rêve puisse devenir réalité, outre la responsabilité de l’Etat et des collectivités territoriales, il appartient aussi aux organisations de la Société civile et aux médias de jouer leur rôle de veille en réalisant des contrôles citoyens qui permettront d’attirer l’attention du gouvernement sur les insuffisances et les aspects à améliorer.

Certes des efforts ont été réalisés par le gouvernement comme la formation continue des enseignants sur la prise en charge des élèves en situation de handicap, la création de centres communautaires, la mise en œuvre de projets pilote d’éducation inclusive, la prise en compte de l’éducation inclusive dans les curricula de formation des enseignants du primaire dès l’année prochaine, la création de la Carte d’invalidité qui facilite l’accès des enfants handicapés à l’école avec la réduction des coûts de scolarisation et surtout la création d’une direction de la Promotion de l’éducation inclusive, de l’éducation des filles et du genre etc. Mais il reste beaucoup à faire si le Burkina Faso veut être du rendez vous de 2030.

Il s’agit surtout pour le gouvernement d’honorer ses engagements à ne laisser personne de côté en investissant davantage de ressources pour s’attaquer aux diverses inégalités et aux multiples désavantages.

2030 c’est dans 10 ans, et en rectifiant le tir, il est possible que le Burkina Faso atteigne l’éducation pour tous. « Avec des investissements judicieux dans l’éducation, nous pouvons transformer les vies des individus, les économies nationales et le monde dans lequel nous vivons » disait Ban Ki-Moon, ancien secrétaire général de l’ONU. Permettre donc aux enfants en situation de handicap d’avoir droit à une éducation leur permettra d’avoir des clés pour pouvoir s’insérer dans la société. Et les preuves en la matière ne manquent pas.

Notons que l’intégration totale des enfants en situation de handicap n’est qu’un pan de l’éducation inclusive. D’autres cibles devront également être atteintes.


Encadré : cibles de l’ODD 4

4.1 D’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons suivent, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité, qui débouche sur un apprentissage véritablement utile

4.2 D’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons aient accès à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation préscolaire de qualité qui les préparent à suivre un enseignement primaire

4.3 D’ici à 2030, faire en sorte que les femmes et les hommes aient tous accès dans des conditions d’égalité à un enseignement technique, professionnel ou tertiaire, y compris universitaire, de qualité et d’un coût abordable

4.4 D’ici à 2030, augmenter considérablement le nombre de jeunes et d’adultes disposant des compétences, notamment techniques et professionnelles, nécessaires à l’emploi, à l’obtention d’un travail décent et à l’entrepreneuriat

4.5 D’ici à 2030, éliminer les inégalités entre les sexes dans le domaine de l’éducation et assurer l’égalité d’accès des personnes vulnérables, y compris les personnes handicapées, les autochtones et les enfants en situation vulnérable, à tous les niveaux d’enseignement et de formation professionnelle

4.6 D’ici à 2030, veiller à ce que tous les jeunes et une proportion considérable d’adultes, hommes et femmes, sachent lire, écrire et compter

4.7 D’ici à 2030, faire en sorte que tous les élèves acquièrent les connaissances et compétences nécessaires pour promouvoir le développement durable, notamment par l’éducation en faveur du développement et de modes de vie durables, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, de la promotion d’une culture de paix et de non-violence, de la citoyenneté mondiale et de l’appréciation de la diversité culturelle et de la contribution de la culture au développement durable

- 4.a Faire construire des établissements scolaires qui soient adaptés aux enfants, aux personnes handicapées et aux deux sexes ou adapter les établissements existants à cette fin et fournir un cadre d’apprentissage effectif qui soit sûr, exempt de violence et accessible à tous

- 4.b D’ici à 2020, augmenter considérablement à l’échelle mondiale le nombre de bourses d’études offertes aux pays en développement, en particulier aux pays les moins avancés, aux petits États insulaires en développement et aux pays d’Afrique, pour financer le suivi d’études supérieures, y compris la formation professionnelle, les cursus informatiques, techniques et scientifiques et les études d’ingénieur, dans des pays développés et d’autres pays en développement

- 4.c D’ici à 2030, accroître considérablement le nombre d’enseignants qualifiés, notamment au moyen de la coopération internationale pour la formation d’enseignants dans les pays en développement, surtout dans les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement

Source : ONU

© Teach For Burkina Faso (TFBF) par KACISOLUTIONS
Ouagadougou, Burkina Faso